1 000 ZESS, Zones Économiques Spéciales et Sécurisées, en Méditerranée et en Afrique

 PRÉFACE

Une Afrique Industrielle Nouvelle

par Jean-Louis Guigou

« Bientôt, les indépendances auront soixante ans. C’est peu mais, tandis que nous employions toute notre énergie à construire l’Europe, ces pays employaient la leur, parallèlement, à essayer, tant bien que mal, de se construire comme nations ! Aujourd’hui, ils ne sont plus les mêmes ; ils ont changé, énormément, et commencent à être mûrs pour une nouvelle histoire qui promet d’être explosive. Il serait temps, grand temps, de tourner de nouveau notre regard dans leur direction, de nous intéresser à l’Afrique nouvelle ! »[1]

Pour construire cette Afrique nouvelle, les experts retiennent une double nécessité :

–    Industrialiser l’Afrique pour y créer des emplois et de la valeur, en transformant sur place les matières premières trop longtemps exportées sans valeur ajoutée.

–    Améliorer la gouvernance pour plus de liberté et de justice, de mobilisation de tous les acteurs et en finir avec la prédation et la gérontocratie.

Dès lors, les économistes doivent se focaliser sur l’industrialisation de l’Afrique en privilégiant les PME/PMI car les Africains sont très entreprenants et innovants – mais sans sans pour autant négliger les IDE.

Dans leur démarche, tous les économistes mettent l’accent sur le financement des PME. Les colloques, forums, tables rondes abondent sur cette question, et les outils se multiplient :  fonds de fonds, fonds de garantie, prêts d’honneur… la panoplie s’élargit et se différencie sans cesse.

Cela étant, nous affirmons avec Paulette Pommier – avec modestie et conviction, preuves à l’appui –, que le financement des PME est une condition nécessaire mais non suffisante au développement des PME. À côté de la finance, il y a la géographie, c’est-à-dire la localisation des entreprises et celle de tous leurs partenaires et facteurs de production.

Cette question de la localisation géographique des entreprises est très mal étudiée et insuffisamment prise en considération, alors qu’elle est une condition essentielle au développement des activités, surtout manufacturières

Pour vivre, survivre, se développer toute entreprise doit gérer de façon optimale ses relations extérieures qui impactent ses coûts. Sont directement visées les relations :

–    avec ses clients, les fournisseurs, les administrations, les banques… et leur localisation et accessibilité.

–    avec ses personnels : leurs déplacements quotidiens, leur qualification, leur logement, leur bien-être, les écoles pour les enfants, l’environnement sanitaire…

–    avec l’environnement physique : les ports, les gares, le rail, les routes et autoroutes, les aéroports ; l’accès à l’énergie, à l’eau, à Internet et les exigences écologiques, telles que le recyclage des déchets, la qualité des eaux, les circuits courts…

Assurer le financement des entreprises, sans se préoccuper de leur environnement géographique – économique, humain, physique et écologique –, que l’on dénomme les « économies externes », constitue une aberration, un non-sens et une erreur fatale : l’entreprise aura de forte chance de disparaître en quelques mois, et cela même si les financements étaient apparemment assurés.

En tant qu’économistes, passionnés par la géographie et l’aménagement du territoire, nous plaidons, depuis notre passage à la DATAR, pour améliorer sans cesse l’accès, dans de bonnes conditions, aux économies externes pour les entreprises et notamment les plus fragiles comme les PME.

D’où les plaidoyers, les études, les forums pour voir se créer – a minima – des zones industrielles équipées, mais surtout des districts industriels à l’italienne, des technoparcs, des technopôles, des systèmes productifs locaux, des écosystèmes, des clusters et plus récemment les ZES – Zones Économiques Spécialisées – chinoises.

De quoi s’agit-il ?

Le miracle industriel chinois tient à la création de quelques 350 ZES qui ont permis aux Chinois, en trente ans (1980-2010) de passer du stade d’une agriculture paysanne dominante au stade de première économie manufacturière du monde !

En trente ans ! Ce bond spectaculaire est lié à la création de ces ZES à l’intérieur desquelles les Chinois ont concentré tous les facteurs de production stratégiques pour les entreprises manufacturières, leur créant ainsi un environnement idéal.

Ces ZES sont de grands parcs d’activités, souvent en bordure de mer pour exporter rapidement et à moindre coût, protégées comme des camps militaires. Les entreprises y trouvent des terrains, des bâtiments industriels, l’accès à l’énergie, aux réseaux de transport, à Internet, y disposent d’une main d’œuvre formée, adaptée à leurs activités, et y bénéficient d’avantages fiscaux. Ces ZES sont de véritables « Clubs Méditerranée » pour le confort des entreprises.

La plus grande, celle de Shenzen, s’étend sur 328 km2.

Ce sont quelque 350 ZES qui ont ainsi produit à bas coût pour exporter vers l’Europe, l’Amérique et le reste du monde, et ce faisant pour « tuer » l’industrie manufacturière des Occidentaux tout en accumulant des réserves de charge considérables. Ce modèle – production à bas coût et exportation – a duré 30 ans, de 1980 à 2010. Ce furent les premières « Trente Glorieuses » années de la Chine.

Avec les routes de la Soie et la croissance des revenus en Chine, les autorités chinoises prônent désormais un autre modèle de développement pour les trente prochaines années (2020-2050) : construire des voies de communication et de transport des hommes, des biens et de l’énergie vers l’Europe et l’Afrique ; mailler les trois continents Europe-Afrique-Asie et y implanter des ZES, véritables « Nids pour le phénix  (chinois) »[2]

Sur la côte orientale de l’Afrique – en Éthiopie particulièrement – les Chinois « débarquent » avec leurs outils privilégiés (les ZES) qui constituent de véritables bases avancées, sur le Continent, pour des entreprises chinoises qui vont s’y délocaliser.

Cette étude de Paulette Pommier montre qu’il y a déjà entre 50 et 60 ZES chinoises en Afrique sur un potentiel existant actuellement de 350 zones industrielles africaines de type traditionnel, que les Chinois prônent de transformer en ZES – l’objectif des Chinois semblant être de prolonger leur industrialisation en terre africaine afin de continuer à exporter à bas coût. Si tel est le cas, l’industrie européenne aura du mal à renaître, et l’industrie africaine à naître. Les intérêts industriels des Européens et des Africains se rejoignent donc.

D’où l’idée qu’ensemble, Européens et Africains, créent des ZESS (Zones Économiques Spécialisées et Sécurisées) en Afrique, qui auraient pour objectif d’industrialiser les pays du Continent, dans l’intérêt des Africains et avec les apports technologiques, RSE et en management des Européens.

Des ZESS pour la coproduction et le codéveloppement gagnant-gagnant euro africain.

Cette étude de Paulette Pommier pour IPEMED ouvre des perspectives historiques.

La Commission européenne, avec le Plan d’Investissement Extérieur (PIE) et avec la renégociation des accords ACP, dits de Cotonou, pourrait faire cette proposition aux pays africains : contribuer ensemble, avec des ZESS cogérées, à l’industrialisation de l’Afrique.

[1] La nouvelle question africaine, Hugues Bertrand, Mai 2018, L’Harmattan.

[2] Thierry Parnault « Des nids pour le phenix : l’Afrique et les zones économiques spécialisées « chinoises » HAL

* * *

LES AUTEURS

Paulette POMMIER, Experte associée IPEMED
Jean-Louis GUIGOU (Direction)

SOMMAIRE

  • I – Préface : Une Afrique nouvelle p. 2
  • II – Les chances d’une industrialisation de l’Afrique p. 5
  • III – L’Afrique peut-elle relever le défi d’un développement industriel accéléré ? p. 5
  • IV – Comment valoriser la dynamique entrepreneuriale et l’attractivité du continent africain ? P. 7
  • V – La ZES, un modèle qui s’exporte p. 8
  • VI – Proposition pour un consortium européen promoteur de ZESS p. 19
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